Classica Répertoire n° 165 LES MAïTRES DE LA VIELLE BAROQUE FRANçAISE ŒUVRES DE DUGUÉ, BUTERNE, DUPUITS, NAUDOT, RAVET, MARCHAND, BÂTON. Matthias Loibner, Riccardo Delfino (vielle à roue), Laurent Le Chenadec (basson), Thomas Wimmer (viole de gambe), Norbert Zeiberger (harpe). CPO 999 864-2 (Codex). 2001. 71 On a réussi à donner une ampleur bienvenue à ces instruments aigrelets sans les dénaturer. Notice ¤¤ (bonne) Note 9 La culture savante n'a jamais eu la place de choix que l'histoire, avec son tri rétrospectif, nous laisse croire. Il y a toujours eu, même pour les savants et les puissants, des formes artistiques de divertissement. C'est humain : on ne peut pas"tre génial ou nager dans le génie d'autrui toute la journée. Ainsi, même le lecteur de Claude Simon ou de Thomas Bernhard se délecte de romans policiers. L'Ancien Régime eut semblable littérature de grande consommation : c'étaient les contes de fée, une telle passion qu'un Colbert envoyait des secrétaires les collationner par tout le royaume. Leur trame se retrouve d'ailleurs dans le merveilleux contemporain de la science-fiction. Il en fut de même pour la musique. Comme certains yuppies arborent dans leur séjour une rutilante guitare électrique, les marquis du Grand Siècle ne rechignaient pas à exhiber des instruments populaires ennoblis (sinon embourgeoisés, voir le bourgeois gentilhomme de Molière aux prises avec son aristo fauchée) On connaissait le phénomène par la cornemuse et les cabrettes, dont la problématique fut exposée il n'y a guère au Musée des Arts et Traditions populaires de Paris. L'instrument des gueux se pare d'ivoire et de soie et figure même à la cour de Versailles. Matthias Loibner et Riccardo Delfino nous font découvrir ce phénomène à travers la vielle à roue française de la même époque. Il ne s'agit pas de couinements régionalistes : on sait depuis longtemps que ce que certaines régions croient"tre leur spécificité culturelle n'est que le fruit de leur obstination à conserver une manière de faire nationale Ð un archaïsme local. Ainsi de la pelote basque : avant de se confiner de manière résiduelle dans cette province, le jeu de paume fut un jeu national autant fait pour le peuple que pour la cour (celui du château royal de Fontainebleau est toujours en action), un jeu incroyablement célèbre, avec ses vedettes millionnaires. Il nous en reste, rappelle le catalogue d'une récente exposition à Fontainebleau, des expressions très vivantes comme "épater la galerie", "qui va à la chasse perd sa place" ou "rester sur le carreau". Le nom du jeu qui en est issu, le tennis, vient du cri de son service : "Tenez!". Ainsi, ce que nos deux vielleux nous donnent à écouter est de la musique urbaine (urbanisée), élégante, cultivée sinon savante, et leurs instruments sont de facture très chic. A propos, leur formation européenne met beaucoup d'ardeur à l'interpréter, même si leur art n'est pas tout à fait assez délicat ou parisien, peut-ètre. En tout cas, rien de rustique dans les partitions, ni de provincial. Ainsi, Charles Buterne tenait l'orgue de la chapelle royale. S'il ne s'agit pas d'auteurs de premier plan, ce sont tous de bons faiseurs ou des interprètes réputés en mal de muse, parfaitement au courant de la musique de leur temps : on retrouve facilement Couperin, Marais, Rameau comme Vivaldi ou autres Italiens (la querelle des Bouffonse) dans leur propos. C'est en cela que ce disque peut enthousiasmer même un fou de l'art de notre (son) temps. On se rend compte que la musique de divertissement d'alors était très près de sa contemporaine la "grande musique". Les insipides compilations de musique de bar actuelles, très vaguement répétitives ou électroniques, restent hélas bien plus éloignées des musiques électroacoustique ou spectrale du jour. Jean Vermeil